
Les personnages sont convoqués dans un hôtel, sans savoir pourquoi. Ils ne peuvent pas le quitter ni pratiquer leur métier, qu’ils ont en commun. Ainsi, ils se réunissent au comptoir. Ils parlent, beaucoup. Molière, Hemingway, Sagan, Baudelaire, Céline, Sand, Nothomb, Camus, Houellebecq, Racine, Despentes, Hugo, Rimbaud, et d’autres, règlent des comptes à travers leurs siècles et leurs visions du monde et de l’Homme.
COMPTOIR
9782490313396
Un hôtel, quelque part dans le sud. Arrivé le premier, Jean-Baptiste Poquelin s’émerveille face à ce qui ressemble à un miracle. La verve heureuse, il présente la situation aux autres invités : Camus, Baudelaire, Racine, Rimbaud, Chrétien de Troyes, Rabelais, Hugo, Despentes, Gainsbourg, Houellebecq, Sagan, Duras, Allen, Flaubert, Carver, Djian et bien d’autres. Tous ont été convoqués, ressuscités ou vivants, pour cette étrange réunion de famille. Tous ont pour consigne de ne pas quitter l’hôtel. Dehors, le monde est à l’arrêt. Un vilain virus fait des ravages, à ce qu’il paraît. C’est ce qu’a affirmé l’Homme du Bar, taciturne, secret, qui n’explique pas ces mystères, mais qui semble pourtant en connaître les causes. Il veille, derrière le comptoir, jusqu’à ce qu’Hemingway s’impose en maître de cérémonie, cocktail après cocktail. Les échanges se font, les questions se nouent, des confidences se tissent entre les invités. Les ego – non des moindres – éclatent, règlent enfin leurs comptes qui en ulcèrent certains, en font ricaner d’autres. Des désirs s’expriment, des rêves, des regrets, des ambitions passées. Tout cela glisse ou gronde autour du Comptoir, dans le tintement des verres, comme une mélodie entre les lignes.
Que font-ils là ? Comment ces drôles d’invités vivent-ils cet enfermement de luxe ? À quoi ressemble ce monde, dehors ? Les relations hommes-femmes, les secrets, les failles de chacun, leurs états de santé, à quoi aurait ressemblé leur vie s’ils ne l’avaient pas perdue à écrire ? À quoi ressemblerait leur monde rêvé, à chacun ?
Céline rêve de se racheter une vie honorable, mais le fiel est plus fort que lui. Molière connaît le secret de son nom. Gainsbourg rêve du grand cocktail d’Hemingway qui lui-même fait des aveux étranges, tout comme Rimbaud. Les femmes s’imposent dans la république des lettres, aux grands malheurs de certains. D’autres observent, et sourient.
Hemingway en maître de cérémonie, avec ses secrets, mais aussi ses obsessions. Comme beaucoup. Baudelaire, Rimbaud, leurs faiblesses immenses, Racine et Flaubert, leurs certitudes immenses, pourtant si différentes, Despentes sort les armes, Nothomb trinque au champagne…
Des obsessions. Une galerie d’obsessions remarquables.
La modernité des textes de grands noms cités ici n’est plus à prouver tant l’humanité reste fidèle à ce qu’elle a toujours été. Dans Comptoir, les grands auteurs présents et passés confrontent notre actualité au monde qui était le leur – pas si différent, finalement – et à la vision qu’ils en avaient.
Quel est le point de départ narratif de votre roman, et pourquoi ?
Le grand confinement ! L’agacement de voir sur les réseaux des récits sans aucun intérêt. Je me suis demandé quel récit de confinement pourrait enfin avoir de l’intérêt. Nos grands auteurs. Mes grands auteurs. Ceux dont j’étais cependant certain de ne pas trahir le phrasé et la vision du monde.
Selon vous, quel est le cœur de votre roman ?
De ne pas en avoir. Le cœur n’est pas le seul organe vital. Il y a l’âme, les comptes à régler, les errances, puis l’esprit. Le cœur en effet, mais aussi le ventre, les reins. Le gosier. Un homme, une femme, quel que soit son nom, sa réputation construite, son immense talent, reste guidé par ces mêmes choses qui tous nous échappent.
Quelle est la teneur de votre héros (héroïne) et pourquoi ?
Ils sont tous invités, mais aucun n’est un héros. Merci, Daniel Balavoine, d’avoir réglé cette question. Une fois pour toutes. Du reste, qu’est-ce qu’un héros ? Un personnage ou individu qui produit un acte extra-ordinaire au profit d’autrui, qui n’a pas la volonté d’en être un (sans quoi il serait un démon), mais qui doit affronter ses propres failles pour réaliser son acte salvateur et fondateur. Autant dire que ce n’est pas pour rien qu’il nous a fallu imaginer les mythes et les légendes.
Dans quelle mesure votre texte entre-t-il dans la ligne éditoriale engagée conduite par les Éditions Red’Active ?
Un regard posé sur l’homme. Une discussion. Des doutes. Sans doute pas de réponses. Mais des questions. Essentielles à nos miroirs.
Quelle est l’émotion dominante que vous aimeriez laisser chez le lecteur ?
Philippe Djian, Amélie Nothomb, deux de mes personnages, ont lu COMPTOIR. Tous deux ont trouvé que c’était une nuit de plaisir. Jean-Jacques Goldman également, qui a déclaré que c’était un grand plaisir. J’aimerais que chaque lecteur ressente cette lecture de plaisir. Qu’elle soit diurne ou nocturne.
Première soirée
Le bar de l’hôtel donne sur un salon d’un luxe suranné. Murs couverts de livres anciens. Vieilles éditions, reliures en cuir. Une cheminée pour le décor et les soirées d’hiver, un piano pour l’ambiance. Des fauteuils confortables, tissus de velours, quelques chaises qu’on a disposées pour assurer une place à chacun.
C’est une réunion de famille. Une famille d’un genre particulier, où les morts côtoient les vivants, les vivants parlent aux morts. Des morts aussi vivants que les vivants. Tous ont l’impression de rêver, mais ça n’a rien d’un rêve. Ils sont tous là, de chair et de sang. Ils aimeraient comprendre ce qui se trame dans ce salon, derrière ce comptoir.
Au milieu de la rumeur, un homme se hisse. D’une laideur épouvantable. Mais ses gestes ont l’énergie d’un torrent de montagne.
Tous cèdent au silence pour l’écouter.
Molière.
Molière prend la parole.
« Si vous saviez combien il m’est fâcheux de ne vous pouvoir éclairer cette incroyable merveille ! Être arrivé le premier ne m’a point donné le privilège de comprendre cette drôlerie mieux que vous autres.
Nous avons tous reçu la même missive. Pour certains, ça ressemblait à des paroles ébrouées dans le tissu d’une nuit sans pareille, comme des mots qui surgissaient d’eux-mêmes sur le papier, pour d’autres, ça ressemblait à des notes de musique, ça soulevait des couleurs qui signifiaient quelque chose. J’ai aussi entendu parler de… télégramme… ? De SMS… ? C’est bien ça ?
Nous l’avons donc tous reçu cette fameuse invitation. Et vous voilà. Nous voilà. Pas un n’a résisté à l’appel. Nous nous sommes dressés, nous nous sommes mis en route, portés par les ailes de la curiosité. Et les plus optimistes ont voulu croire que la droite du Seigneur ressemble à un hôtel de luxe, avec des boiseries sur les murs et une piscine d’eau chaude dans les jardins !
J’ai bondi !
Je dois l’avouer, j’étais un peu rouillé. Une sieste de trois siècles ! ça tirait de tous les côtés. Une bon-ne-grooosse-sies-te dans le trou ! Les scélérats ! J’ai remué une cheville – Molière secoue son poignet –, non pas celle-là, l’autre ! – il remue son pied. Une autre cheville – même jeu. Les épaules étaient là, cette vilaine caboche aussi. Tout était en place. Oui… oui, tout, absolument tout, vous dis-je ! – Le regard de Molière descend satisfait sur son entre-jambes.
J’ai bondi en dehors du linceul ! C’était le plaisir de revoir le petit matin. La première lueur qui grignote l’horizon, l’espoir de renifler le gigot, magnifique, dodu, doré à point, fondant sous la dent, et, s’il vous plaît – puisque tout semblait possible – tâter le cul d’Armande ! Blanc comme le lait, chaud comme la braise… – Molière improvise une grimace lubrique et transcendée à la fois, qui soulève un rire presque unanime.





