
Défini comme un « roman de nouvelles », cet écrit atypique qui a l’audace d’associer deux genres littéraires distincts et d’en défier, ou tout au moins d’en interroger, les codes est une exploration des espaces du réel et de l’imaginaire, des interactions entre les deux.
Un récit en équilibre entre deux précipices, l’espace dévasté de la réalité et le chant des sirènes de la fiction, et tout l’enjeu est de plonger dans ces eaux troubles sans faire naufrage.
LE MONDE AUTOUR
9782490313532
La vie des gens.
Pas de quoi en faire toute une histoire, c’est sûr.
Mais donner quelques petites nouvelles, ça maintient le lien, non ?
Sans entrer dans les détails, on sait bien.
Pas un roman, donc. Quelques nouvelles, tout au plus.
Histoire d’aller à l’essentiel.
Même si on sait bien qu’aller à l’essentiel, ce n’est pas dire l’essentiel.
C’est même parfois, le contourner. L’éviter.
Mais, bon, juste quelques nouvelles. Histoire de dire.
« Une nouvelle, c’est toujours la promesse d’une rencontre ».
Que devient la perception du réel, à l’heure où la fiction dépasse la réalité, dans un monde qui propulse l’humain, de plus en plus, dans des espaces gouvernés par l’abstraction ?
Unique personnage du roman, L. s’adresse au lecteur. Lui raconte son existence blafarde, son quotidien désenchanté, ses tentatives d’adhésion au monde qui l’entoure, un monde oppressant, effrayant et féroce. Appelé à exercer ses fonctions de narrateur, il s’extrait de la réalité sordide du monde autour pour se plonger dans l’espace fictionnel des histoires à inventer. Et il invente des histoires, des histoires de vies, des histoires de vie puisées dans la vraie vie, qui n’est jamais très loin, en mettant en scène des personnages en prise directe avec le monde d’aujourd’hui, sous l’emprise de ce monde. De manière consentie ou contre son gré, chaque existence s’inscrit dans son rapport au monde. Parallèlement, chaque existence s’évade de ce dernier et exerce sa liberté dans l’imaginaire. Entre réel et imaginaire, comment exister, trouver sa place, parvenir à un équilibre ?
L./Léo. Retrouvailles avec le personnage emblématique de Les volets clos, qui assume ici une double fonction : personnage à part entière dans le roman, narrateur dans les nouvelles.
Une galerie de personnages représentatifs de quelques spécimens de l’espèce humaine, que l’on rencontre dans les nouvelles, dont le thème est « la vie des gens ».
Max. L’homme libre, pour qui la faim justifie les moyens.
Rose. La jeune fille en fleur qui écume les jours.
Hélène. La vieille. Un regard en arrière quand on n’a plus la vie devant soi.
L’homme heureux. À définir, si tant est que ce soit possible.
L’épouse. Habitante du foyer occupationnel, vaquant à des occupations inutiles, pour remplir une existence vacante.
Le jeune enrôlé. Celui qui remplit son rôle. C’est Noël et c’est la guerre. Pas de chapon farci, cette année, juste un dindon de la farce.
Le psy. Il interroge et il s’interroge, histoire de faire le tour de la question.
Le/la garçon/fille. À identifier, mais c’est le rôle du psy.
L’homme malheureux. L’homme heureux en moins bien ?
Daisy. Intermittente du spectacle conjugal. Celle qui contribue au bonheur de l’homme heureux. Et au malheur de l’homme malheureux ? Daisy, trois lignes perdues dans 297 pages. Trois petits tours comme les marionnettes. Et puis s’en vont…
L’homme pressé. Celui qui passe le temps tandis que le temps passe.
Ce roman s’inscrit dans un contexte réaliste et daté : 2022. Les petits récits qui le parsèment, aussi volatiles que l’air du temps, portent les marques de la modernité, par les thématiques abordées. Des questionnements existentiels aux petits tracas et grandes tragédies du quotidien, c’est toute une société qui est lapidée, contestée, passée au vitriol, de manière fort discrète parfois.
Certains thèmes sont éternels, mais leur approche est conditionnée par la pensée d’aujourd’hui, les inscrivant ainsi dans l’actualité d’un monde en mutation :
Le sens et le non-sens des choses, la voie du contresens.
Le bonheur, nouveaux contours, nouvelles définitions.
Le temps, toujours, qui dénonce la futilité d’une vie, le hasard d’un destin, l’inconsistance des choix.
D’autres thèmes sont ancrés dans le présent, érigeant parfois en concepts ce qui, autrefois, pouvait être assimilé à de simples banalités. Spécificité d’un siècle qui interroge les évidences :
Les relations humaines. Terrain vague à bâtir.
Le couple. Anatomie de la vie conjugale, configuration des nouvelles normes amoureuses, et rapport éventuel avec l’amour, thème éternel ayant tendance à sombrer dans l’oubli.
Les revendications identitaires. La complexité d’exister tel que l’on est. Surtout quand on n’est pas tel que l’on nait.
Le libre arbitre et la soumission aux normes et règles sociales. Les formes d’engagement dans le monde.
L’Homme heureux
Hakuna matata…
Ce matin, l’homme heureux se lève, comme tous les autres matins, dans l’enthousiasme non feint de cette nouvelle journée à investir. Ce jour présent qui hier encore n’était pour lui que la promesse d’un lendemain.
Et qui se pointe comme une offrande aux premières lueurs d’un pâle soleil. Un cadeau de la vie qu’il doit à son cœur qui bat. Un bonus qu’hier encore il ignorait.
Un cadeau qu’il escomptait sans y compter vraiment. Ce n’est jamais acquis, un cœur qui bat. Il n’y a aucune garantie que les palpitations cardiaques perdurent.
Et le jour se lève.
Alors, l’homme heureux, ce matin-là, comme tous ceux qui précèdent, ouvre les yeux sur cette nouvelle journée qui n’annonce sans doute rien de palpitant, mais à laquelle ses palpitations cardiaques insufflent déjà son rythme.
Il est reconnaissant, l’homme heureux, d’être là, vivant, toujours. Prêt à s’élancer dans la course des heures qui filent.
Il remercie le temps, la vie, la terre, la mère. Le ciel même. C’est inconscient tout ça. Ça se passe pas, en vrai. C’est un processus psychologique, une gesticulation mentale indécelable qui fait que l’homme heureux, c’est celui qui connaît la chance qu’il a d’être en vie. Une sorte de mécanisme invisible qui règle l’attachement à l’existence.
Dans la réalité, cela se traduit par une attitude positive. Chez l’homme heureux, c’est presque un sigle, l’Homme Heureux, HH. Chez l’HH, le réveil, c’est comme le facteur, il sonne toujours deux fois. La première sonnerie, c’est pour se réveiller. Stimuler les sens. Ouvrir les yeux. Retrouver ses repères. Identifier le jour présent, en déduire l’emploi du temps qui lui est consacré, toutes ces choses qui se font naturellement en quelques fractions de seconde à peine. La deuxième, quelques minutes après, c’est pour se lever. La mise en route.
Et le bonheur, ça commence déjà avec le lever différé. Le petit laps de temps qui s’écoule entre les deux sonneries, cette parenthèse entre le signal et l’obligation, est un espace de détente dans lequel l’homme heureux s’étire voluptueusement. Déjà réveillé, pas encore debout.
Le réveil qui sonne deux fois : le spa du lever quotidien.
La minute bien-être.
S’éjectant du lit à ressorts tel une tartine grillée expulsée du grille-pain, l’homme heureux se prépare avec entrain. À peine debout et déjà en pleine forme… Mais comment fait-il ?
Le bonheur, sans doute, qui le porte.
Le transporte dans sa salle de bain au carrelage blanc pastel. Blanc, en fait, parce que blanc, c’est blanc, c’est sans nuances. Blanc, c’est pas gris, des blancs, y en a pas cinquante. Mais je rajoute pastel pour préciser l’ambiance. Le blanc pastel, c’est pas une couleur, c’est un concept. Dans l’imaginaire, cela suggère un décor zen. Une déco zen, c’est ainsi que l’on formule, histoire d’être dans le bon ton, on castre le mot et on le féminise. Question d’époque, sans doute. Enfin, pour dire que le carrelage, ici, c’est plus une posture qu’un revêtement mural. Ça représente une sorte de disposition au bonheur. Un contexte. C’est comme le bonheur lui-même : c’est plus une disposition qu’une réalité.
L’homme heureux, l’HH, c’est bien plus qu’un sigle, l’Homme Heureux, bien plus qu’une appellation d’origine incontrôlée. C’est presque un concept, l’HacheHache. HashHash. CashCash. Cache-cache.
L’homme heureux enfile les habits qu’il a soigneusement préparés la veille au soir.
Quel est le point de départ narratif de votre roman, et pourquoi ?
Ce roman de nouvelles est né d’une intention, celle de retrouver le personnage de Les volets clos, et de le placer dans un contexte social, au sein du monde dont il était exclu. De le remettre à sa place, en quelque sorte. Non que les volets aient été ouverts, mais simplement signifier qu’il existe un monde autour. Il s’agit, dans ce récit, de réaliser une immersion dans ce monde, le vrai monde, par le biais de la fiction, et d’interroger ainsi la dialectique du réel et de l’imaginaire
Selon vous, quel est le cœur de votre roman ?
Ce roman de nouvelles se présente comme une sorte de mise en abime où, à l’intérieur du roman s’intègrent de petites histoires indépendantes, qui sont une échappatoire, une porte de sortie, une issue de secours pour s’extraire du monde. En même temps, chacune de ces histoires, qui s’est voulue une évasion, pour un homme prisonnier du monde qui l’entoure, prend racine dans la réalité. Aucune n’échappe à la réalité du monde autour.
Le cœur du roman est alimenté par deux artères : le réel et l’imaginaire, qui, tour à tour, s’épousent et se repoussent, leur dualité signant leur incapacité à se défaire l’un de l’autre. Leur entrelacement souligne tous les paradoxes de la narration : passer par l’imaginaire pour atteindre le réel ; se réfugier dans l’imaginaire pour fuir le réel ; cuisiner le réel pour nourrir l’imaginaire. Autant de contradictions pour faire battre le cœur de ce roman.
Quelle est la teneur de votre héros (héroïne) et pourquoi ?
L/Léo est fidèle à lui-même : tour à tour enthousiaste ou dépité, volubile ou apathique, rêveur ou perplexe, en fonction des circonstances, des informations, de la météo, de son humeur. En parfaite harmonie, finalement, avec le monde qui l’entoure, qui, s’il ne comble pas le vide qui l’habite, a une action directe sur sa posture journalière.
Quant aux personnages qui peuplent les nouvelles, leurs mises en situation frôlent parfois la caricature. Chacun porte en lui le poids de la société. Chaque vie est alimentée par les denrées sociales que le monde concède. Et chaque personnage se révèle plus ou moins fragile, plus ou moins consistant, toujours impacté par son environnement. Chacun porte en lui la question du sens des choses, du non-sens de l’existence, de l’engagement dans le monde, seule voie possible pour donner sens à la vie.
Dans quelle mesure votre texte entre-t-il dans la ligne éditoriale engagée conduite par les Éditions Red’Active ?
Ce texte, qui se consacre largement à l’exposé des travers de l’homme moderne dans la société actuelle, peut être envisagé comme un texte engagé, non parce qu’il est le véhicule d’opinions, ce n’est pas son propos, mais parce qu’il s’agit d’un texte contestataire, qui pose un regard critique sur le monde d’aujourd’hui, et qui induit une réflexion sur la société actuelle.
Quelle est l’émotion dominante que vous aimeriez laisser chez le lecteur ?
Comme toujours, le premier vœu de l’auteur est le bonheur de lire du lecteur. Que celui-ci éprouve la joie de découvrir ou de retrouver le ton, l’humour caustique et l’écriture sans complaisance de Les volets clos, ainsi qu’un propos sans concession, qui, au-delà du plaisir de lecture, amène à développer une réflexion. Réflexion sur les liens inextinguibles entre le réel et l’imaginaire. Réflexion également sur les procédés littéraires et les processus d’écriture, de par l’union instaurée entre le roman et la nouvelle. Qu’est-ce que la littérature ? Sinon un formidable exercice de la liberté, dans le fond comme dans la forme.





