
À travers l’histoire d’un homme seul, les grands et petits riens de la vie. Les petits, surtout. Un voyage immobile au cœur de la condition humaine, entre absurde et quête de sens.
LES VOLETS CLOS
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L. – de sexe masculin –, vit seul – en tout cas physiquement – dans sa maison isolée, en pleine campagne, au bout d’un chemin de terre, au fond d’une impasse. De janvier à mai deux mille vingt, son quotidien, ou tout au moins ce qu’il en livre, s’expose à la vue du lecteur. Vacuité d’une existence, grands et petits riens du quotidien, projets remis au lendemain, conversations surréalistes se télescopent avec humour et gravité.
Un voyage immobile au cœur de la condition humaine, mais aussi une ouverture sur le monde. Un arrêt sur le temps dans un contexte où le temps se fige.
Un peu comme s’il suffisait d’appuyer sur la touche « pause » de la télécommande pour que tout s’arrête. Sauf qu’en réalité, tout continue.
Que pourrait dire de plus l’auteur, déjà fort réticent à commenter son propre propos ? Peut-être, juste t’inviter, toi lecteur, à glisser un œil inquisiteur dans l’interstice des volets clos.
Entre…
Que signifie exister seul ?
Comment donner sens à son existence en dehors de tout contexte extérieur, sans aucune sollicitation sociale ? Le sens que l’on donne est-il le vrai sens des choses ?
L. L’unique personnage de ce récit. L’homme seul. Celui qui, chaque matin, ouvre les yeux, et dont le quotidien se nourrit du regard qu’il pose sur le monde. Un point de vue fluctuant, une perspective aléatoire.
Léo. Son avatar. Léo, c’est L., quand il s’adresse à lui-même. Pour stimuler son existence. C’est son interlocuteur pour un tête-à-tête avec soi.
Joséphine. L’incarnation désincarnée de la matrice. L’incontournable, l’inévitable reproductrice de l’espèce humaine.
Le beau-frère. Représentatif de la communication sociale, dans tout ce qu’elle véhicule de lacunes, de contradictions, de défaillances et d’incompréhension.
Les absents. La femme. Le père. Les autres. Les absents ont toujours tort, ce qui ne signifie pas que les présents ont raison. Et quoi qu’on en dise, les absents sont là.
Thèmes intemporels, ceux qui s’affranchissent de tout ancrage dans une temporalité définie, parce qu’ils abordent des questionnements existentiels. Ils ne sont, de fait, pas spécifiquement liés à une actualité particulière, en même temps qu’ils n’échappent pas au contexte dans lequel évolue le personnage de ce récit. Les thèmes privilégiés de ce roman sont :
La notion de temps. Le rapport de l’homme au temps. Le temps qui passe, le temps qui s’arrête. Le temps qu’on occupe, le temps qu’on perd. Le temps qu’on détourne, le temps d’un livre.
Le concept de l’absurde. Les interrogations existentielles sur le sens des choses, le sens de la vie humaine, la place de l’homme dans son environnement, le sens de son implication dans le monde.
La question de la liberté. La solitude la plus aboutie peut-elle être considérée comme la marque de la liberté la plus absolue ?
Les interactions individu/société. La place de l’homme dans la société : intégration, insertion, adaptation, marginalisation, exclusion. La part sociale de l’homme seul : que reste-t-il d’un homme dépourvu de toute implication sociale ?
Les enjeux identitaires. Comment se construire « hors du monde » ? Comment exister seul ?
Les enjeux de la communication. Mise en exergue des failles de la communication, seul trait d’union entre l’individu isolé et le monde.
Tout ça, c’est la faute du gant.
Je me suis retrouvé sous la douche avec mon savon liquide parfum jasmin et pas de gant.
Impensable pour moi de me laver à mains nues, je suis d’une génération où on se frotte le corps avec un gant de toilette, après une journée de labeur. Enfin, après une journée.
Du coup, me voilà en train de traverser la salle de bain tout dégoulinant, claquant des dents sous le refroidissement brutal de l’eau sur ma peau. Et, bien sûr, en progressant lentement, à pas de loup, pas pour être silencieux, non, y’a que moi ici, non, non, c’est juste par prudence, pour pas glisser. J’aurais mieux fait de me sécher les pieds, ç’aurait été plus rapide. Mais bon, j’ai voulu gagner du temps.
La traversée de la salle de bain de quatre mètres carrés fut longue et éprouvante. Un stress niveau 9/10 pour éviter la glissade ; une fureur exponentielle contre ce foutu gant qui n’est pas à sa place.
Je l’ai récupéré, sec et tordu, sur le robinet du lavabo, pourquoi il est là, Dieu seul le sait, enfin personne ne sait, mais il est là. Je m’en empare, un brin excédé, et retourne dans mon bac à douche exigu tout aussi précautionneusement que quand j’en suis sorti. Grelottant sous l’eau qui, évidemment, a eu le temps de refroidir. Il faudra que je jette un œil au chauffe-eau un de ces quatre, je dis ça chaque fois que je suis planté sous le jet de douche en attendant que l’eau glaciale monte en température. Tous les jours, à peu près.
Je reste longtemps sous le jet ouvert éparpillant ses milliers de gouttes sur ma peau accueillante, plus longtemps que d’habitude. Et plus longtemps que nécessaire. Mon corps est si propre qu’il va devenir transparent si je reste là. Déjà que je suis pas un être particulièrement visible…
J’arrête l’eau à contrecœur, quitte sa chaleur enveloppante pour me confronter au froid de l’après-douche d’un mois de janvier. Parce que dans ma salle de bain, il fait froid, j’ai été obligé d’arrêter le radiateur sèche-serviettes que j’ai acheté l’année dernière pour faire comme tout le monde, tout bien comme il faut, parce qu’on m’a dit que c’était désormais ce qu’on mettait dans les salles de bain. La norme, quoi. Moi, j’en étais resté à l’espèce de radian suspendu qui s’enflamme quand on tire la ficelle et qui chauffe instantanément, mais je sais même pas si ça existe toujours, ce truc-là. Alors, j’ai fait confiance aux pros, j’ai un sèche-serviettes de compétition, ultradesign, qui peut réceptionner quatre serviettes en même temps, mais, perso, je m’en fous, je vis seul. Il me prend la moitié d’un mur et m’ampute jusqu’au tiers de mes revenus. Du coup, il est éteint et reste obstinément froid, forcément, se contentant d’accueillir une unique serviette trempée, qui pendouille sans relâche dans son humidité.
Super investissement.
Bref, je sors de la douche, me sèche sommairement, et pends ma serviette mouillée sur mon super sèche-serviettes éteint ultradesign. J’enfile un jogging, un sweat polaire et mes charentaises à carreaux écossais. Oui, je sais ce que vous allez dire. Le truc de base, les charentaises à carreaux écossais. Ben oui, j’aime pas les pantoufles ouvertes derrière, qui se font la malle chaque fois que tu fais un pas et qui réchauffent que le bout des orteils. Ça me paraît être, comment dire, une lacune dans la fonction cocooning de la pantoufle. Alors oui, des charentaises fourrées à carreaux écossais. Mais je vous dirai pas la couleur, voilà.
C’est bon, je suis paré de ma panoplie nocturne. La soirée peut enfin commencer.
Sauf que j’ai loupé Le journal de vingt heures.
À cause de ce satané gant.
Quel est le point de départ narratif de votre roman, et pourquoi ?
Le point de départ narratif de ce roman, c’est l’ordinaire. « Tout ça, c’est la faute du gant. » Dans un quotidien d’une absolue platitude, soudain, une circonstance, elle-même sans intérêt, sans importance, vient créer une lacune complètement futile, et cet empilement de banalités devient tout à coup crucial, révélateur du vide abyssal d’une vie.
Il s’agit dès lors, à travers une introspection sans concession, qui allie lucidité, dérision et folie, d’écrire le néant d’une existence, fourmillant de mille petits riens qui lui donnent son hasardeuse consistance. Il s’agit de poser des mots sur le silence d’une vie solitaire, à travers une sorte de farce romanesque qui n’est ni plus ni moins que la représentation tragi-comique de la comédie humaine.
Selon vous, quel est le cœur de votre roman ?
Contre toute attente, le cœur du roman, pour moi, ne se situe pas dans le texte lui-même, mais à l’extérieur. Le cœur du roman, c’est celui qui n’est pas contenu dans le récit, mais auquel ce dernier s’adresse, celui qui le lit et le transforme en en prenant possession. Le cœur du roman est celui du lecteur.
À travers L., ce personnage clairement identifié, bien que non nommé, le récit entier est une adresse implicite au lecteur. Il a pour vocation de l’interpeller, par la mise en scène d’un homme ordinaire, insignifiant, qui se lève et se couche, et entre les deux… vit. Le récit renvoie, à travers le quotidien de cet homme qui est aussi, inévitablement, le nôtre, malgré les spécificités qui caractérisent le personnage et lui sont propres, au lecteur, à nous, à nous tous.
Quelle est la teneur de votre héros (héroïne) et pourquoi ?
Le personnage, qui incarne plus l’antihéros que le héros, de par la défaite de son existence et la déconfiture que génère sa relation au monde, est caractérisé par une grande teneur en vide. Ce qui peut être envisagé comme une réelle opportunité dans la mesure où c’est autant d’espace à combler. Ce vide abyssal contient l’espèce humaine tout entière, en dénonce les travers, dans un monde où l’absurde se dresse comme le maître des lieux.
Dans quelle mesure votre texte entre-t-il dans la ligne éditoriale engagée conduite par les Editions Red’Active ?
Ce texte pose des questions de sens et incite à la réflexion. De ce point de vue, il entre dans la ligne éditoriale des éditions Red’Active, privilégiant des textes engagés et porteurs de sens. Au-delà du propos, c’est un roman qui, à sa sortie, a été l’objet de plusieurs « coups de cœur » (médiathèque, librairie, salon), du fait, peut-être, de son style particulier et que les éditions Red’Active ont choisi d’intégrer à leur catalogue du fait aussi de cette singularité.
Quelle est l’émotion dominante que vous aimeriez laisser chez le lecteur ?
Si tant est que je puisse prétendre à une intention vis-à-vis du lecteur, l’émotion dominante que je lui souhaiterais d’éprouver serait que ce récit lui procure un grand plaisir de lecture, un bonheur de lire, des éclats de rire. Avec, en filigranes, le désir de provoquer une affinité avec ce texte, miroir de sa propre existence, un attachement à ce personnage anodin et pourtant marquant, la conscience de la dimension absurde des choses de ce monde auxquelles nous nous appliquons à donner sens.





