
Essayer, rater, recommencer... Après quarante ans de malédiction, la grande histoire va-t-elle enfin cesser de contrarier les petites entreprises d’un aventurier rabelaisien, rêvant de fortune ? Ou le destin va-t-il encore punir cet iconoclaste qui bouscule les codes pour sortir du rang ?
TONTON AVAIT UNE FERME EN UKRAINE
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Journaliste au chômage, Yan approche la cinquantaine et aime deux personnes, par-dessus tout : sa compagne Céline et Tonton, vieil ami de ses parents devenu le sien au fil du temps. Avec cet « attachiant « bourlingueur-entrepreneur-conteur, Yan croit tenir le personnage de son premier roman. Un héros de tragédie grecque. Rien de moins que la réincarnation du mythe de Sisyphe dont le burlesque masque le drame. Avec Tonton, la réalité ne laisse guère le temps d’envisager la fiction. Au crépuscule de sa vie, la fortune semble enfin lui tendre les bras. De paisible auteur, Yan se retrouve alors chauffeur, direction l’Ukraine et des milliers d’hectares de terre à céréales. Mais quels que soient les méandres rocambolesques du chemin, la question de la quête demeure : Zeus empêchera-t-il pour l’éternité Tonton Sisyphe d’acheminer sa pierre au sommet de la montagne ?
Doit-on rire de l’absurdité de la condition humaine, tout en se révoltant contre elle, comme le préconise Albert Camus Le Mythe de Sisyphe ?
Un journaliste aimerait se contenter d’écrire la vie incroyable de son parrain officieux et d’exploiter la gouaille fleurie avec laquelle il la raconte. Sauf qu’un événement imprévu l’appelle à participer à sa dernière aventure dans les Balkans. Poursuivre son existence tranquille ou s’embarquer dans la galère tontonesque ? Conter l’action ou y participer, là est le dilemme...
Daniel Barnès, 68 ans, dit « le Berger », dit Tonton : Un personnage rocambolesque, énorme. Logisticien, éleveur agriculteur, globe-trotter, ex-fondateur du premier club de chasse sous-marine au Brésil, ex-cuistot du rallye Paris-Dakar, ex-intendant de la Calypso de Cousteau, prétendu pigiste du renseignement français... L’archétype de l’aventurier, doublé d’un immense et truculent bavard-queutard dont les avis tranchés sur la vie et le monde ne donnent jamais dans la bien-pensance tiède.
Yan, 47 ans, journaliste au chômage, mon double littéraire : Tonton l’a connu à douze ans et s’obstine à voir en lui son héritier. Sauf que Yan n’est ni homme d’action, ni bourlingueur, ni entrepreneur pour un sou. Lui n’est fan d’aventure qu’en rêveur, à travers les livres ou les films. Il aime les récits d’hommes comme Tonton, car ils fournissent une matière épique à ses écrits de journaliste ou d’auteur, mais cela s’arrête là. S’étant toujours laissé aller à la facilité, il n’a jamais trop quitté le cocon d’Aix-en-Provence et entend y continuer sa vie douce avec Céline dont il est très amoureux.
Situé en 2007, le roman préfigure ce qu’aurait pu être l’Ukraine aujourd’hui, sans la convoitise de Poutine : Un pays émergent tourné vers l’Europe occidentale. C’est ce que j’avais constaté en y allant cette année-là. Voitures de luxe, filles pomponnées dès le matin pour aller à la fac ou au bureau, business-men, rénovation des édifices patrimoniaux, événements culturels... Cette énergie effervescente de Kiev contrastait avec l’Ukraine rurale, très pauvre, arriérée et laminée par des décades de soviétisme. La remise à niveau était le chantier à venir.
Par ailleurs, le roman rebondit quand le trafic de drogue piétine les plates-bandes de l’agriculture et cette opposition reste une thématique on ne peut plus actuelle. À l’heure où l’on se demande comment nourrir 8,2 milliards de terriens, chaque champ supplémentaire dédié à la culture de la coca, du pavot ou du cannabis rajoute à la problématique. Tonton explique à des pontes américains de la lutte contre le narcotrafic qu’il fait le même boulot qu’eux en semant du blé avec son tracteur. C’est aussi drôle que vrai.
C’était l’histoire sans fin… alors qu’il venait de faire la nique à la mort et de survivre à un infarctus, à l’instant où il touchait la quadrature du cercle, quand l’ensemble des compétences accumulées au cours de son existence chaotique pouvait être mis au service de son vieux rêve de réussite paysanne, au moment où la planète réclamait du blé à cor et à cri et où tous les gars du monde semblaient prêts à donner la main à celui qui savait le faire pousser, voilà que tous ses vieux démons le rattrapaient : la mouvance des enjeux géopolitiques, la redistribution des alliances économiques et la guéguerre de l’ombre qui en découlait, au nez et à la barbe des médias intoxiqués par Big Brother, les engagements non tenus des financiers-girouettes, les collaborateurs incompétents, l’obligation d’association à risques avec des gentilshommes de fortune du genre Sardi et Lorca pour cause de finances ric-rac. Comme au Brésil, comme aux Seychelles et comme en Guyane où il avait encaissé sa dernière et plus cruelle désillusion.
Une mauvaise langue aurait pu répondre qu’on ne lançait pas la construction d’une cathédrale en raclant les troncs d’église. La remarque aurait été injuste et Yan aurait claqué le beignet de qui l’aurait faite. Tonton était abattu, dans un lit d’hôpital, surveillé par un écran. Cela lui faisait de la peine et cela réveillait même sa propre colère. Berditchev, Zhitomir… La position de Kiev sur le planisphère relevant déjà de l’improbable, ces noms exotico-balkaniques dansaient dans sa tête sans qu’il soit fichu de les placer sur une carte. Il tenta une ultime suggestion :
— Et un investisseur ukrainien ? Tu m’as dit que tous les politiques et les milliardaires de Kiev campaient dans le resto de ton copain François.
Là, le visage du Berger s’éclaira à nouveau et il éclata de rire :
— Un investisseur ukrainien ! Hilarant… Arrête, je vais refaire un infarctus ! Mon pauvre ! Et pourquoi pas un parrain de la mafia calabraise ? Laisser n’importe quel grossium qui campe chez François mettre un euro dans mon business ? Pince-moi, je rêve. Même le plus clean… D’abord, il me claque des bises, m’invite chez lui, m’ouvre une bouteille de Romanée Conti et me suggère à l’oreille de m’occuper de la « nièce » qu’il vient de s’inventer avec un dealer de putes. Dans les six mois qui suivent, tout passe à son seul nom. Puis des flics balafrés débarquent chez moi, me laissent dix minutes pour faire mon sac, et me reconduisent gentiment à la frontière de Hongrie, en me laissant entendre que je suis veinard d’avoir évité l’interrogatoire musclé en prison. Et si j’ai le malheur de porter le pet aux gens hauts placés que m’a présentés François, cela se termine avec une bastos dans la nuque à la sortie d’une boîte de nuit. Le tueur pro me piquera mon morlingue pour donner le change. Dix lignes en cyrillique déplorant l’escalade de la violence crapuleuse dans le journal Kiev Lviv du surlendemain, un e-mail désolé à l’ambassade de France et ton Berger qui arrive à Roissy dans un cercueil bon marché. Si la famille et les copains veulent bien se cotiser pour payer l’embaumement et le voyage en Airbus.
Quel est le point de départ narratif de votre roman, et pourquoi ?
Daniel Baylet, un aventurier-conteur décédé en 2016. Ami de mes parents quand j’étais jeune ado, il est devenu le mien au fil des années. Le personnage de Tonton est plus que largement inspiré de sa vie. Seul le dernier tiers du roman est imaginaire. Tout ce qui est conté en flash-back de ses improbables entreprises exotiques est vrai. Et il a été un des premiers occidentaux sur le coup quand l’Ukraine s’est ouverte à la location de son territoire agricole à des étrangers pour lutter contre sa sous-exploitation. Sa trajectoire invraisemblable, sa personnalité et son langage étaient hors du commun. Faire partager cela à des lecteurs relevait de l’évidente nécessité.
Selon vous, quel est le cœur de votre roman ?
Alexandre Jardin qui a gentiment accepté d’en être le bêtalecteur, m’a dit en riant au téléphone : « C’est une biture de vie votre bouquin ! » Je pense que plusieurs cœurs le font battre. Pour le fond : la quête éternelle, la place de l’affectif, le tragicomique de l’existence. Et pour la forme, un road-movie écrit à l’inverse de Chat GPT : via la gouaille de Tonton, dans une inimitable langue imagée. Un feu d’artifice de mots « qui oscillent de l’argotique au littéraire abouti », selon la préface de Jean-Paul Delfino qui soigne toujours la justesse de ses qualificatifs. Les engueulades permanentes de Tonton et les rébellions de Yan créent aussi un duo comique de frères ennemis. Comme au cirque le clown blanc et l’Auguste, à la différence que là, l’Auguste est le chef.
Quelle est la teneur de votre héros (héroïne) et pourquoi ?
Tonton est d’abord un « attachiant » comme on en connait tous. Un têtu infernal que vous avez envie d’étrangler parce qu’il monopolise la parole avec ses histoires et impose en dictateur ses opinions comme le programme de la journée. Mais vous y êtes attaché parce qu’il est fidèle en amitié, qu’il vous mitonne des plats délicieux, vous donne de précieux conseils pratiques, vous fascine par ses récits et vous fait rire avec son sens de la dérision cynique. Il est proche du héros du film de Tim Burton The Big fish qui agace son fils avec de folles histoires dont on doute de la véracité et qui stupéfait quand ses supposés fantasmes deviennent réalité. Son obstination à repartir après un échec finit également par éveiller tendresse et respect.
Dans quelle mesure votre texte entre-t-il dans la ligne éditoriale engagée conduite par les Éditions Red’Active ?
À sa manière décalée, il rend hommage à ceux qui luttent contre la fatalité de leur condition pour s’élever. Tonton est un libertaire, révolté contre le système, le fatras administratif, la pensée unique, les carcans sociaux et moraux, les frontières, le pouvoir établi de la caste dirigeante. S’il s’acharne à faire fortune, c’est plus pour en triompher que pour l’argent en soi, car il sait vivre chichement. Contre vents, marées et mutations du monde, il entretient l’esprit des pionniers d’antan qui ont exploré et défriché des terres vierges. Une action en bourse n’a jamais rempli directement un estomac. Tonton, oui.
Quelle est l’émotion dominante que vous aimeriez laisser chez le lecteur ?
Le plaisir... La même jubilation que celle qui fut la mienne en écrivant. Ce roman ne prétend rien apprendre sur l’humain. Sa seule ambition c’est de faire sourire à certains passages, d’émouvoir à d’autres, qu’on s’attache aux personnages et qu’on veuille savoir la fin. Si tout est au rendez-vous, je serai un auteur comblé.





